Une éruption au potentiel « historique »
Il existe deux types de volcans. Et, mauvaise nouvelle pour les Balinais et les touristes en visite dans l’île indonésienne, le mont Agung ne tombe pas dans la bonne catégorie.
Dans les volcans dits « effusifs », les gaz s’échappent facilement et le magma est peu visqueux. Quand ces volcans entrent en éruption, la lave s’écoule simplement sur les côtés. Le mont Agung est d’un autre genre et entre dans la catégorie des volcans « explosifs ». Le magma y est visqueux et s’écoule mal. Lorsqu’ils explosent, ces volcans projettent des matériaux et des nuages de cendres qui peuvent atteindre la stratosphère.
Géologiquement, la grande différence est que les volcans explosifs contiennent de l’eau. Cette eau est dissoute dans le roc en fusion sous forme de petites bulles. « L’eau joue exactement le même rôle que le CO2 dans une bouteille de bière ou de champagne, compare Don Baker, professeur au département des sciences de la terre à l’Université McGill. Brassez une canette de bière et ouvrez-la : c’est exactement l’effet d’un volcan explosif. »
Depuis le mois d’août, le mont Agung est secoué de petites explosions, crache de la fumée et des cendres. Qu’est-ce que ça laisse présager ? Personne ne peut le dire avec certitude.
Il y a une semaine, le volcan a connu ce qu’on appelle une « éruption phréatique ». De l’eau est entrée en contact avec le magma, ce qui a généré une explosion de vapeur. « D’un côté, ça peut réduire le danger parce que ça vide le conduit volcanique », commente Daniele Luigi Pinti, professeur au département des sciences de la terre et de l’atmosphère à l’UQAM et directeur du centre de recherche Geotop. Depuis, cependant, c’est du magma qui provoque de petites explosions. « Tout dépend de la quantité de magma des profondeurs qui est en train de remonter vers la surface, continue le professeur Pinti. Et ça, on l’ignore complètement. »
« Ce qu’on sait, c’est que les volcans donnent souvent des avertissements avant de provoquer de grosses éruptions, dit Don Baker, de McGill. Et actuellement, Agung donne des avertissements. Ce volcan a le potentiel de déclencher une immense éruption – une éruption aux proportions historiques. Mais il arrive aussi que les volcans donnent des signes d’avertissement, puis s’arrêtent simplement. »
Pour faire leurs prédictions, les chercheurs se basent souvent sur le comportement historique d’un volcan. Or, pour le mont Agung, ils ne disposent de données détaillées que pour une seule éruption. Pendant un mois, en 1963, la montagne a montré des signes similaires à ceux qu’on observe actuellement. Le volcan a fini par exploser en une série d’éruptions majeures qui ont duré trois mois et fait plus d’un millier de morts – l’un des événements volcaniques les plus puissants de l’histoire récente. On sait aussi que la montagne a connu une éruption majeure en 1843.
L’indice d’explosivité volcanique, noté de 1 à 8, classe les éruptions selon la quantité de matériel éjecté et la hauteur du nuage d’éruption.
Voici les plus puissantes de l’histoire récente :
Indice 6 : Pinatubo, Philippines, 1991
Indice 5 : Mont Agung, Indonésie, 1963
Indice 5 : Mont Saint Helens, États-Unis, 1980
Indice 5 : El Chichon, Mexique, 1980
Indice 4 : Eyjafjöll, Islande, 2010
Indice 4 : Grímsvötn, Islande, 2011
À quoi faut-il s’attendre en cas d’éruption majeure ? « Typiquement, ça commence par un gigantesque nuage de cendres. Puis on voit un peu de lave », dit Don Baker, de McGill. En 1963, le panache de cendres de l’Agung avait atteint la stratosphère, à plus de 10 km d’altitude, et s’était propagé sur plus de 1500 km. À l’époque, le volcan avait aussi généré ce qu’on appelle des « coulées pyroclastiques ». Ce phénomène dévastateur se produit lorsque le nuage éjecté, trop lourd pour se tenir dans les airs, s’effondre sur lui-même, projetant sur les côtés gaz et matière brûlante à toute vitesse. « Pensez à une matière aussi dense que du ciment fondu voyageant à 100 km/h », dit Don Baker. Quant aux « lahars », un mot d’origine javanaise, ce sont des coulées d’eau gorgées de matières volcaniques. On en observe déjà actuellement autour du mont Agung, et elles peuvent se produisent jusqu’à des années après une éruption, quand de fortes pluies lavent les parois d’un volcan.
Le mont Agung est actuellement sous haute surveillance. Les scientifiques guettent notamment les petits tremblements de terre qui pourraient annoncer que du magma est en train de remonter dans le conduit du volcan. « C’est alors une question de quelques heures, peut-être de quelques jours, avant que le magma ne déclenche une éruption », explique le professeur Daniele Luigi Pinti. Des détecteurs installés sur place, aidés de satellites, surveillent aussi les gaz émis par le volcan. Les satellites observent aussi la forme du volcan au centimètre près. « Quand le magma remonte vers la surface, l’édifice volcanique gonfle littéralement », explique le professeur Pinti.
Environ 40 000 personnes avaient quitté la zone dangereuse, hier, et les autorités estiment qu’un total de 100 000 personnes pourraient devoir s’éloigner. Dans la seule journée d’hier, 443 vols ont été annulés à l’aéroport Denpasar de Bali. L’expert Don Baker, de McGill, salue ces mesures. « On parle d’une région touristique et les décisions ont un énorme impact économique, rappelle-t-il. Ils sont prêts à perdre de l’argent pour sauver des vies. On ne voit pas ça partout. »
— avec l’Agence France-Presse
Une Québécoise en vacances à Bali depuis le 16 novembre, Annie St-Hilaire, a raconté à La Presse hier qu’elle se sentait « inquiète et impuissante », alors qu’elle ne sait pas si elle pourra bientôt s’envoler loin de l’île paradisiaque dont la quiétude est menacée par l’éruption du volcan Agung. La femme résidait à une trentaine de kilomètres du volcan en activité et s’en est encore éloignée lundi. Ces derniers jours, elle a rencontré plusieurs touristes piégés sur place. « Et on nous a dit que s’il y a une éruption majeure, l’aéroport pourrait être fermé 15 jours, voire un mois », explique-t-elle. Son vol de départ n’est prévu que pour le 8 janvier. Si le volcan entre en éruption d’ici là, elle ne sait pas quand elle pourra quitter le sol balinais. Mme St-Hilaire, en sécurité mais exposée aux chutes de cendres, rapporte qu’elle n’a actuellement « aucune idée de ce [qu’elle devrait] faire ». « Le seul conseil que nous donnent les autorités locales et le Canada est de ne pas être dans la zone évacuée. » Le gouvernement canadien l’a également avisée d’être prête à partir rapidement. Autour d’elle, beaucoup d’inquiétude, mais la panique n’a atteint ni les touristes, qui « ne parlent que de ça », ni les locaux, qui sont également anxieux, d’après Mme St-Hilaire, puisque « la plupart n’ont pas vécu la dernière éruption de 1963 ». — Marissa Groguhé, La Presse